Nām karan: les noms sikhs

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Le Nām

Tout ce qui existe a une vibration spécifique: objets concrets, êtres vivants, mais aussi esprits, concepts, idées... C’est cette vibration qui définit tout ce qui est dans l’Univers; c’est par la vibration que chaque chose est manifestée. C’est le nām: le « nom », l’identité de chaque chose: ce qu’elle est, ce qu’elle sera, et ce qu’elle a toujours été ; sa place dans la symphonie universelle ; son harmonique du Nām universel.

Les personnes les plus perceptives, à l’écoute de la vibration universelle, « entendent » le Nām. Ainsi, les rishi (ou sages hommes et femmes, des temps anciens) ont naturellement entendu la vibration émanant de tout ce qui était à leur portée ; d’abord sous forme de syllabes élémentaires, puis sous forme de combinaisons et permutations de ces syllabes – ou shabd. Ainsi sont nées les langues...

Le nom des gens

Dans les temps anciens, on présentait le nouveau-né au sage, au chamane, à l’ancien, à la matriarche, etc. de la communauté. Et c’est cette personne qui percevait la vibration propre au bébé, et lui donnait son nom. Ce nom n’était donc pas issu d’une projection ou d’un choix selon tel ou tel critère, mais tout simplement de l’écoute du nom que portait déjà l’enfant, naturellement tourné vers l’avenir de l’enfant, vers la réalisation de sa destinée.

De nos jours, dans nos sociétés, on a plutôt tendance à nommer les enfants à partir de critères esthétiques culturels ou familiaux. Combien de gens portent, au moins en 2nd ou 3e prénom, le nom de leur grand-père ou de leur grand-mère ! Sachant qu’eux-mêmes avaient hérité du nom de leurs aïeuls. Il y a du karma dans tout cela ; pas forcément du mauvais karma, mais du karma : la résultante de choses passées. Ce nom est plus généralement le reflet d’une projection des parents. Encore que... une mère perçoit certainement la vibration de l’enfant qu’elle porte dans son ventre. Mais encore faut-il qu’elle y soit pleinement sensible, et que cette sensitivité oriente son choix au-delà de tous les autres critères.

Traditionnellement, le nom est spirituel

L’engagement dans un chemin spirituel est comme une nouvelle naissance : on naît à une nouvelle vie (une vie selon les principes du chemin que l’on emprunte désormais), à une nouvelle compréhension, à une nouvelle famille (la communauté spirituelle). Il est donc courant que l’on reçoive un nouveau nom. C’est le cas dans de nombreuses traditions religieuses: baptême, conversion, entrée dans un ordre monacal (« nom en religion » chrétien ou « nom de dharma » bouddhiste) ou dans un ashram (traditions yoguiques ou hindoues). C’est aussi fréquent dans de nombreuses traditions africaines, asiatiques, océaniques, sud-américaines: on reçoit un nouveau nom après être passé par un rite d’initiation, qui marque l’entrée dans une nouvelle classe d’âge, une nouvelle caste (chasseur, forgeron…) ou une nouvelle position sociale.

Ce nouveau nom, par sa signification mais aussi sa vibration, fait souvent référence à une qualité, à une vertu universelle que l’on manifeste : c’est soit le mot qui désigne explicitement cette vertu, soit le nom d’une puissance naturelle ou d’un animal qui la manifeste, soit le nom d’un·e ancêtre ou d’un·e saint·e qui a particulièrement incarné cette qualité.

Là encore, le nom n’est pas choisi par celui ou celle qui le reçoit, mais par une autorité spirituelle ou cultuelle: le patriarche ou la matriarche, le maître, le père ou la mère supérieure, l’ancien·ne de la tribu, le lama, le cheikh, le gurū… Ce nom peut aussi être déterminé par consultation divinatoire des esprits tutélaires ou des ancêtres du clan.

Les noms sikhs

À partir de 1699, Gurū Gobind Singh, le 10e Gurū sikh, demanda à tous ses disciples de porter les noms Kaur (pour les femmes) et Singh (pour les hommes) en plus de leurs prénoms. Lui-même s’appelait Gobind Rāe (rāe vient du sanskrit rāja, « noble, roi ») et changea son nom en Gobind Singh.

Singh vient du sanskrit singha, qui signifie « lion ». On trouve notamment ce mot dans le sud-est asiatique : Malaisie, Thaïlande, Indonésie ou encore à Singapour, « la Ville (pura) du Lion (singha) ». Singha est aussi le nom du signe zodiacal du Lion dans l’astrologie védique. Depuis l’époque médiévale, Singh était un titre de noblesse porté par les hommes parmi les Rajpoutes, la caste guerrière hindoue du Rajasthan (« le Pays des Nobles », région du nord-ouest de l’Inde). Par cette origine, Singh est désormais un nom de famille assez courant en Inde. Le Singh ne fait donc pas le sikh: on peut s’appeler Singh et être hindou, descendant de Rajpoute.

Kaur vient du sanskrit kumāra (masculin) et kumāri (féminin), qui désigne une personne non mariée. Par extension, kumāri signifie « vierge, jeune fille, fille de, demoiselle, princesse ». Kanya Kumāri (« la Vierge ») est aussi le nom de la puissante déesse (Bhagwati ou Durga) qui incarne la shakti, la puissance divine, et le nom du signe zodiacal de la Vierge dans l’astrologie védique. Kumār devient kauār ou kawār au Rajasthan, où il désigne le prince ou la princesse. Et Gurū Gobind Singh en retint la forme Kaur, exclusivement porté, en Inde, par les femmes sikhes.

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Singh et Kaur sont donc des noms associés à la noblesse dans la culture populaire (le Rajasthan est géographiquement et culturellement très proche du Pendjab). Gurū Gobind Singh voulait que chacun-e porte un nom qui exprime les vertus de la royauté : la noblesse de caractère, la grâce de son attitude, le courage, la grandeur... En somme, Singh et Kaur stimulent la radiance. Gurū Gobind Singh s’adressait aussi à une majorité de petites gens, souvent des paysans et des petits artisans, méprisés et humiliés, portant en eux-mêmes la conscience de leur infériorité sociale voire spirituelle. Et, en Inde, le seul nom est déjà porteur de discrimination: on peut deviner la caste et l’origine sociale et géographique d’un individu par son seul nom ! Gurū Gobind Singh comme ses prédécesseurs voyait l’humanité comme une, et n’avait aucune considération pour la caste d’origine de ses disciples. On est noble, non pas par sa naissance, mais par la pureté de sa conscience, par sa dévotion en action. Et c’est accessible à chacun-e, quelle que soit son origine. Chacun-e fut donc engagé à abandonner son nom de caste au profit d’un nom royal. Et Gurū Gobind Singh fit ainsi d’un troupeau de moutons, tondus par les puissants, une armée de lions et de princesses qui ne coupent pas leurs cheveux.

Nām karan

Le Srī Gurū Granth Sāhib, recueil de chants de la tradition sikhe, est considéré par les Sikhs comme leur gurū, leur guide spirituel. C’est donc naturellement le Gurū Granth Sāhib que l’on consulte à la naissance d’un enfant pour lui donner un nom, lors d’une cérémonie appelée Nām Karan, ou « attribution du nom ». En pratique, on prend un hukamnāmā: on chante, puis on prie en demandant l’inspiration et l’instruction (ou hukam) du Gurū; ensuite on ouvre le livre à une page au hasard, et le premier chant qui se termine sur la page de gauche est celui que l’on va consulter: c’est là que l’on trouvera le nom de l’enfant. Ce sera le premier mot du texte, par exemple, s’il est porteur d’un sens positif et inspirant. Ou encore le mot qui ressort le plus du texte, qui lui donne du sens – il faut être particulièrement sensitif, intuitif. À ce nom, on ajoute Kaur pour les filles et Singh pour les garçons. En Inde, c’est souvent la première lettre qui est considérée, et l’on choisit un nom traditionnel qui commence par cette lettre (ce qui réintroduit un choix parental et trahit un peu l’esprit de cette belle tradition).

C’est ainsi que de nombreux Sikhs indiens portent des prénoms qui ne figurent pas dans le Srī Gurū Granth Sāhib, mais qui ont un sens positif inspiré de l’enseignement des Gurūs. Ce sont devenu des prénoms traditionnels sikhs. Par exemple, il y a de nombreux prénoms qui finissent par -inder (« dieu, divin » ; de Indra, roi des dieux): Japinder, Surinder, Sukhinder. Ou encore ceux qui commencent par Har- (« dieu) ou Gur- (« le Gurū »). Et, toujours en Inde, c’est précisément le prénom qui distingue un Singh hindou d’un Singh sikh. Par exemple, un Vijay Singh n’est sans doute pas sikh, Vijay étant un prénom hindou. Tandis qu’un Manmohan Singh (nom d'un ancien premier ministre indien) est très probablement issu d’une famille sikhe… Et on peut même compliquer les choses:

  • certains prénoms existent dans leur version hindoue-sanskrite, et dans leur version sikhe-pendjabie. Ainsi, Mahendra Singh sera sans doute hindou, et Mahinder Singh sera sûrement sikh… Mahendra et Mahinder étant deux versions du même nom (« grand dieu »).
  • à partir du 19e siècle, le pouvoir colonial britannique a imposé aux indiens l’usage d’un nom de famille à l’occidentale, c’est-à-dire le nom du père ou du mari. Donc Singh pour les Sikhs. Ainsi, du jour au lendemain, une femme qui s’appelait, par exemple, Nirmal Kaur, se retrouve appelée Mme Nirmal Kaur Singh. Voire Mme Nirmal Singh… un comble!

Titres et particules

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Il faut noter que beaucoup de Sikhs indiens continuent de porter le nom de leur clan, surtout s’il est prestigieux: on trouve donc des noms comme Paramjit Singh Gill ou Amrita Kaur Arora. Les Nihang qui suivent la tradition martiale avec le plus d’assiduité, tendent à ajouter Nihang à leur nom, pour marquer leur appartenance à cette tradition comme à leur propre famille. Et pour s’identifier plus précisément, on peut aussi ajouter le nom de son village ou de sa région d’origine, suivit du suffixe -wale (« qui vient de… »): Harjinder Singh Srinagarwale (un célèbre musicien dont la famille vient très probablement de Srinagar au Cachemire) ou Warris Singh Ahluwalia (célèbre bijoutier, mannequin et acteur américain, sans doute descendant de Jassa Singh Ahluwalia, un maharaja du 18e siècle originaire du village d’Ahlu au Pendjab).

Et puis il y a aussi les marques de fonctions particulières, comme ragi, qui désigne les musiciens de la tradition sikhe. Ou encore les titres honorifiques, comme giani: « sage, érudit », l’équivalent du sanskrit pandit pour les hindous, ou du persan ustad pour les musulmans (ainsi, Giani Zail Singh fur président de l’Inde dans les années 1980). On peut ajouter le mot Yogi à son nom, si on se reconnaît dans la pratique du Yoga: les Sikhs pendjabis qui connaissent Yogi Bhajan l’appellaient plutôt Harbhajan Singh Yogi.

Certains portent aussi le nom Khalsa. Khālsā est un mot d’origine persane, qui signifie « pur·e ». Il désignait notamment un métal pur (contrairement à un alliage). Gurū Gobind Singh donna tout son sens au terme khālsā en nommant ainsi les Sikhs baptisés par l’Amrit et par l’Épée. Par extension, le Khālsā désigne ainsi l’ordre chevaleresque, le cœur de la communauté sikhe. À l’invitation de Yogi Bhajan, beaucoup de Kundalini yogis sikhs adoptèrent donc Khalsa comme nom de famille. Cette pratique existe en Inde et dans les communautés sikhes pendjabies, mais elle y est relativement rare.

Enfin le nom peut porter une marque d’amitié. Au sein des communautés sikhes pendjabies, on fait précéder le nom des membres de la sangat des mots bhai (« frère ») ou bibi (« sœur »). Et on s’adresse les uns aux autres en s’appelant bhaiji (ou encore bhaji ou paji) ou bibiji (ou encore bhenji / penji). Car au-delà des noms et des titres, c’est le suffixe ji qui dit toute l’affection et le respect que l’on porte à quelqu’un. Mais on ne se targue pas de ces choses-là ; alors par humilité, on laisse les autres rajouter ji à notre nom, mais on ne le fait pas soi-même.

Juin 2015 - par Ram Singh

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